Il y a bientôt trois années de cela, j’ai passé l’hiver aux Philippines.
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Ce n’était pas mon premier voyage là-bas, puisqu’une partie de ma famille s’y est installée et que j’étais déjà venue en visite.
Ce n’était pas mon premier voyage, mais j’ai toujours trouvé que chaque pas là-bas a un petit air de nouveauté – en même temps qu’une troublante familiarité.
Les Philippines… des vagues d’Amérique Latine au cœur de l’Asie.
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Les effluves.
Dès l’aéroport, ce mélange d’humidité et de fruit mûr, le souffle mouillé de l’air qui vous enrubanne et vous serre de près, jusqu’à ce qu’un mince soupir de vent vous en délivre, sporadiquement.
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Les sons.
Ce brouhaha, mélange des clameurs de la foule mêlées aux cliquetis des auto-rickshaws qui semblent grouiller à votre rencontre.
Et puis, surtout, grondant, couvrant tout sous son vacarme, le bruit des moteurs, les klaxons des taxis, les pétarades des jeepneys.
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Les fruits.
Des couleurs si flamboyantes que nos pauvres petits yeux gris d’Européens en pâlissent de honte. Certains semblables à de petits oursins, d’autres à de gros crocodiles. Et les mangues… à tomber.
Des légumes de toute forme, de toute taille, aux saveurs acidulées, fraîches, croquantes – différentes.
Des petits pains en spirales violettes, des douceurs craquelées de cristaux de coco, du riz noir comme jais.
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Et puis…
Les gens.
Des gens simples, des gens souriants, des gens heureux.
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J’ai été très touchée de ce qui est survenu la semaine dernière aux Philippines.
L’île de Samar, Tacloban, Guiuan… j’y étais, il y a trois ans.
Si ce qui est arrivé là-bas a été l’enfer, ces endroits m’avaient alors semblé un petit paradis sur Terre.
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De l’île, nous avions d’ailleurs dû repartir précipitamment, en raison d’un ouragan se précipitant sur nous…
Un ouragan, déjà, et pas très étonnant à dire vrai, puisqu’il y aurait une catastrophe météorologique toutes les trois semaines aux Philippines depuis une vingtaine d’années.
Selon de nombreux scientifiques, le réchauffement climatique est à l’origine d’un nombre croissant de catastrophes naturelles : typhons, inondations, ouragans, sécheresses… Entre 1997 à 2006, le nombre de catastrophes a augmenté de 60 % par rapport à la décennie précédente. En 2012, le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a noté un changement manifeste dans les phénomènes naturels extrêmes depuis les années 1950, très probablement dû à l’activité humaine.
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L’immense paradoxe ?
Les effets de ce réchauffement touchent en premier lieu les populations les plus défavorisées de la planète, alors que ce sont les pays industrialisés qui en sont responsables…
Comme le soulignait Hervé Morin dans Le Monde, ‘les pays les plus menacés par le réchauffement sont souvent les plus pauvres. Ils sont aussi les moins polluants’.
C’est aussi le constat de Marie-Monique Robin dans son livre, Les moissons du futur, qui observe que c’est également dans les pays du Sud que se trouve la très grande majorité des arbres de la planète – notre poumon vert – au contraire des pays du Nord, dont l’agriculture industrielle, qui a tôt fait de supprimer tous les arbres de ses champs, est une majeure productrice de gaz à effet de serre.
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De l’île de Samar, nous avions donc été chassés par les vents et les pluies qui menaçaient.
Le retour avait été un périple mouvementé : pour rejoindre Tacloban, il n’y avait qu’une route en terre qui avait vite été submergée sous les eaux, les voies aériennes étaient coupées, les bateaux pleins. C’était mon anniversaire.
Nous avions mis des jours à regagner Manille, épuisés, encore trempés de toutes ces trombes qui nous étaient tombées dessus et qu’il avait fallu traverser, mais soulagés, heureux.
Je m’étais dit alors qu’en cas de typhon ou de ras-de-marée, il serait très difficile à ces populations d’être évacuées…
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Dans des campagnes qui longent les côtes, les habitations sont dispersées, des petits hameaux, jamais plus d’un étage, de frêles maisons faites de tôles et de bois, et seulement de la terre pour les relier.
Nous avions dormi dans des cabanes de paille. La nuit, il y avait des rats.
J’avais trouvé cela très romanesque.
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Mon frère me dit qu’il y a des gens à son travail qui ont de la famille, là-bas.
De leurs proches, ils n’ont pas de nouvelles.
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On ne sait pas encore combien il y a de morts, mais ils se comptent par milliers.
Tacloban, nous y avions dîné, le soir, avant de prendre le seul bateau où – miracle ! – il restait de la place. Nous avions été heureux de pouvoir trouver des repas sans viande et chauds dans un fast-food local. Affamés, nous nous étions régalés.
Aujourd’hui, il ne reste pas grand chose de Tacloban: des débris jonchés de cadavres, des gens qui tentent de fuir, des pillages et du chaos.
Mais on s’en fout, c’est loin, tout ça.
A quoi bon écouter le GIEC et les autres Cassandre du climat ? C’est tellement plus simple de se dire qu’à nous, ça n’arrivera pas.
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Pourtant, ‘aucun joueur ne peut espérer gagner en cas d’échec général’.
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Alors, quoi faire ? Baisser les bras ?
Non. Il est en notre pouvoir d’arrêter cela.
Nous savons ce qui va se passer si nous ne stoppons pas les choses, nous avons les moyens de le faire, et ce n’est pas dans trente ans, dans cinquante ans – c’est maintenant.
Je sais, ce n’est pas un sujet drôle. Moi aussi je préférerais vous parler chocolat et menus de Noël. J’ai conscience que ce billet n’aura certainement pas beaucoup de succès, mais ne nous laissons pas bercer par notre quotidien privilégié.
Agissons.
Réveillons-nous, faisons bouger les lignes, et, si ce ne sont pas les politiques qui le font, c’est aux citoyens de se mobiliser. Ne laissons pas tous ces visages mourir par notre faute.
C’est nous qui faisons le climat.
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145 comments
Merci de partager ces MAGNIFIQUES photos avec nous ainsi que ton message bien vrai…
Oh, merci beaucoup Babette !
Merci pour ces sublimes photos ! Etant fan de pix et amatrice à mes heures, j’ai vraiment adoré toutes ces expressions pleines d’humanité, seulement ton article m’a également donné les larmes aux yeux… On ne peut rester insensible ou alors on n’a pas de coeur, et si seulement les Occidentaux principalement, prenaient conscience de la gravité actuelle et de l’urgence.
Quand nous en parlons mon compagnon et moi, autour de nous, on nous prend pour des extra terrestres entrés dans une secte 🙁
Et pourtant…….
Merci beaucoup Laure, c’est très gentil à toi et ton message est très touchant.
Rassure-toi, parfois, c’est pas si mal d’être des extra-terrestres… enfin, moi je préfère ça si ça me permet de ne pas être insensible à autrui !
Très bel article. Il me touche particulièrement parce que je suis allée aux Philippines en Mai dernier et j’ai trouvé ce pays magnifique, et les gens vraiment adorables. Pour avoir vu pas mal de pays en Asie du Sud Est, les Philippines ont quelque chose de spécial. J’ai donc été profondément attristée lors du typhon, voyant les gens que j’avais rencontré décrire leur calvaire sur facebook. Alors que nous, on est tranquillement assis dans nos fauteuils, il y a des gens qui luttent tous les jours. On se sent loin de tout ça et on n’en prend pas conscience. C’est quand ça nous arrive qu’on réalise un peu, trop tard. Les inondations se multiplient en Europe aussi, mais on tarde encore à agir.
J’ai souri (jaune) au commentaire sur le foot! Ahhh l’art de la distraction et de s’occuper de choses qui nous sortent de notre misère quotidienne…
Merci pour tes mots et tes photos! Je trouve d’ailleurs que tu as un réel don pour l’écriture, tu pourrais écrire un livre…
Oooooh, je rougis Emma, tu es adorable !
Je suis ravie de lire que, toi aussi, tu as eu un coup de cœur pour les Philippines et ses habitants tellement gentil.
Pour moi, les Philippines sont un petit mix d’Asie et d’Amérique latine, il me tarde d’y retourner !
Oh oui, ce pays est un gros coup de cœur, j’aimerais tellement y retourner aussi!
Je me suis d’ailleurs permise de mettre le lien vers ton article dans celui que je viens d’écrire sur les Philippines (plus sur l’aspect voyages)! Si ça t’embête n’hésite pas à me le dire!!!
Oh, mais bien sûr, tu es adorable, merci beaucoup !