La lecture a toujours été un refuge dans ma vie. Un petit bout d’île que je peux atteindre quand tout tangue trop autour de moi. Cependant, il arrive que le flot se tarisse, que la barque ne me prenne plus. Lorsque mon cerveau passe dans une machine à laver de nouveautés, un tourbillon d’émotions, je n’arrive plus à me concentrer et les mots défilent devant mes yeux comme un assemblage étrange de symboles abscons. 2019, l’année où je suis arrivée à Berlin, a été une année où j’ai peu lu. Lire est redevenu une routine en 2020, lors du premier confinement. Au fur et à mesure des semaines, les livres ont de nouveau habité mon quotidien, les histoires, mes soirées.
Garder trace de mes lectures est une habitude récente. Je le fais depuis trois ou quatre ans, je crois. Parfois, j’oublie d’aller mettre mes petites étoiles sur Goodreads ; d’autres fois, le temps me manque. Malgré tout, c’est avec un certain plaisir que je m’efforce à être à jour. J’aime garder trace de ces histoires qui s’effacent parfois trop vite.
Je vous présente aujourd’hui quelques uns des livres qui m’ont particulièrement plu ces dernières semaines. Comme annoncé, il s’agit tous de livres écrits par des femmes ou des personnes trans et non-binaires. Certains ont été traduits en français (c’est le cas de Brit Bennett et de Roxane Gay), mais les autres ne sont pour le moment disponibles qu’en version anglaise. Comme ils sont tous été publiés relativement récemment, il faut espérer qu’une traduction française voie bientôt le jour !
J’ai beaucoup aimé
Bad Feminist, Roxane Gay
Seul ouvrage de non-fiction de cette liste, Bad Feminist est un recueil d’essais principalement sur les questions de genre, de race et de sexualité dans la culture contemporaine. Féministe aimant le rose, le vernis à ongle et la télé-réalité, l’autrice y revendique ses « contradictions ».
Face aux déceptions qu’a pu susciter ce livre, je ne savais pas trop à quoi m’attendre et sa lecture a donc été une agréable surprise. Je crois qu’il faudrait être prévenu·e qu’il s’agit-là de chroniques publiées préalablement sur d’autres supports et réunies en un ouvrage, d’où l’impression de décousu. Le titre peut également être trompeur, car le livre ne se résume pas au féminisme et traite de beaucoup d’autres sujets, en particulier la question raciale (un titre comme Pop culture, race and gender aurait peut-être mieux convenu ?). Le tout gagnerait à être plus profond, mais, si on ne s’attend pas à une somme savante sur le féminisme, on passera un bon moment, qui nous fera tout autant réfléchir que sourire. La plume de Roxane Gay y est pour beaucoup. Tantôt légère, tantôt grave, elle reste toujours percutante et authentique. Bref, pas quinze mille étoiles, mais un livre accessible et agréable.
Un des moments que je préfère, à un certain stade d’une relation, c’est quand un type me demande d’une voix pleine d’espoir : « Tu prends la pilule ? »
Roxane GaY
Je réponds simplement : « Non, et toi ? »
My dark Vanessa, Kate Elizabeth Russell
Récit troublant, dur, bouleversant, qui relate la relation abusive entre un professeur de littérature, Jacob Strane, et son élève âgée de quinze ans, Vanessa Wye. Un aller-retour dans le temps, de cette rencontre adolescente jusqu’à l’ère Me Too, une quinzaine d’années plus tard, et le difficile processus de déconstruction de l’emprise.
J’ai trouvé peut-être un peu trop de complaisance dans ce roman, de scènes de viol répétées. J’aurais aimé sans doute que les choses aillent plus loin, que de l’emprise qui s’étiole, on en vienne à la condamnation. Mais ce livre raconte bien, justement, combien il est difficile de sortir d’une relation abusive. Un beau roman, fort de nuances.
J’ai adoré
Felix ever after, Kacen Callender
Felix ever after, c’est un roman YA qui raconte l’histoire de Felix, adolescent noir, trans et queer, en quête de son identité comme du premier amour, et confronté à la transphobie et au cyber-harcèlement. J’ai découvert Kacen Callender grâce à son Pep Talk pour le NaNoWriMo, qui m’a donné très envie de lire ses livres.
J’ai globalement adoré ce roman et j’aimerais qu’il en existe tellement plus des comme lui ! Des questions de genre et de sexualité à celles de race, d’amitié et de discrimination, les thèmes abordés sont incroyablement riches, tout comme la diversité des représentations. Inclusif, émouvant et incroyablement fort, ce livre se lit d’une traite et devrait être remis entre les mains de tout·e adolescent·e.
I’m not flaunting anything. I’m just existing. This is me. I can’t hide myself. I can’t disappear. And even if I could, I don’t fucking want to. I have the same right to be here. I have the same right to exist.
Kacen Callender
Dominicana, Angie Cruz
L’histoire d’Ana, jeune dominicaine de quinze ans, élevée à la campagne, qui émigre à New York dans les années 60 avec son nouveau mari, un homme deux fois plus âgé qu’elle. Tant pis si elle ne l’aime pas, tant pis si elle ne parle pas un mot d’anglais. Grâce à ce mariage, toute sa famille pourra bientôt la rejoindre aux Etats-Unis. Un voyage non seulement vers un autre pays, une autre vie, mais également à la découverte d’elle-même, en équilibre entre le fil de l’enfance et celui de la femme qu’elle devient malgré elle.
Si le rythme du début manque parfois de vigueur et que je ne me suis pas tout de suite sentie émotionnellement transportée par la narration, j’ai eu du mal à me détacher de ce livre dans sa seconde moitié. Le récit, vu au travers des yeux de la jeune fille est puissant, déchirant parfois. Tantôt puissante, tantôt vulnérable, Ana est une héroïne terriblement émouvante. Un très beau livre.
Mes coups de cœur
L’autre moitié de soi, Brit Bennett
Adolescentes noires à la peau claire, les sœurs jumelles Desiree et Stella fuguent toutes deux de leur petite ville natale, au cœur d’un sud américain à peine sorti de la ségrégation. Quatorze ans plus tard, Desiree réapparaît, une enfant à ses côtés. Elle a perdu toute trace de Stella, partie mener à Boston la vie d’une femme blanche.
J’avais beaucoup aimé Le cœur battant de nos mères (The Mothers, en anglais), mais si je devais choisir, L’autre moitié de soi serait certainement mon favori. J’ai aimé le rythme doux et pourtant prenant de cette longue histoire de femmes, l’alternance des perspectives comme un flambeau passé de génération en génération, ces héroïnes complexes et attachantes, et, bien sûr, l’enchevêtrement des questions de race, de classe et de genre à travers les problématiques d’identité, de famille et de maternité dans une Amérique en évolution, mais toujours divisée. Un grand, grand coup de cœur. Attention cependant, je l’ai lu en anglais et certaines personnes ont trouvé la traduction française décevante.
Dans l’obscurité, on n’est jamais trop noir. Dans l’obscurité, tout le monde est de la même couleur.
Brit Bennett
The girl with the louding voice, Abi Daré
Adunni, jeune fille de quatorze ans vivant dans un petit village du Nigéria, rêve de devenir institutrice. Malheureusement, la mort récente de sa mère et la pauvreté de sa famille la contraignent à abandonner l’école et à épouser un homme bien plus âgé qu’elle, déjà doté de deux épouses. Mais les choses ne vont pas s’arrêter là. D’Ikati à Lagos, de la sordide maison de son époux à celle d’un couple fortuné mais non moins cruel, Adunni déploiera toute son intelligence et sa force de caractère pour changer les choses et faire entendre sa voix.
Un immense coup de cœur de ce début d’année ! J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé ce roman, que j’ai lu d’une traite. Je l’ai trouvé incroyablement fort, doux et bouleversant à la fois et je l’écouterais volontiers en version audio. Avec son esprit vif et curieux, et son courage inégalable face à l’adversité, Adunni est une héroïne extrêmement touchante à laquelle on ne peut manquer de s’attacher. Le récit, écrit à la première personne et dans un anglais approximatif, donne une poésie particulière à la narration et parvient à transmettre cette voix si unique, si forte, qu’est la voix d’Adunni. Pour un premier roman, c’est vraiment une réussite et j’espère de tout cœur qu’Abi Daré ne s’arrêtera pas là.
* * *
J’espère que vous avez aimé cette petite sélection et que découvrir mes avis vous donne envie de lire ces livres. N’hésitez pas à partager en commentaires vos récentes lectures ou vos coups de cœur, je serais ravie d’agrandir ma pile à lire !
13 comments
Ça fait envie !! Merci
Merci !
Bonjour Ophélie,
Merci beaucoup de nous partager cette sélection inspirante !
Je piocherai dedans avec plaisir 🙂
Bonne continuation dans tes lectures,
Myriam
Merci beaucoup ! Plein d’autres suivront certainement sous peu 😉
Merci Ophélie !
J’ai envie de tout lire… sauf Bad Feminist que je n’avais pas beaucoup apprécié quand je l’avais commencé. Mais je n’étais pas préparée au format, et je pense que ça joue aussi.
Ah mince ! Oui, je crois que c’est un livre où il faut être prévenu.e un peu du format et de pas avoir trop d’expectatives (surtout par rapport au titre !). Cela étant dit, de Roxane Gay, j’ai largement préféré Hunger, qui est absolument magnifique.
Merci pour ces jolies recommandations. Inspirée, elles sont donc notées sur ma liste qui s’allonge toujours davantage…
Merci pour ces recommandations, j’ai TOUT envie de lire ! Ma bibliothèque n’en a aucun MAIS j’en ai trouvé plusieurs sur Momox. Je vais voir par lequel je commence
Oui, comme je suis à l’étranger, je lis sur liseuse… et donc pas forcément des livres traduits et/ou disponibles en librairie ou bibliothèque en France. Je ne connaissais pas Momox, je note !
Momox c’est bien car il y a beaucoup de références, mais il y a aussi des plateformes d’achats de livres d’occas’ qui ont en plus un but social ou autre… J’étais tombée sur un article avec une liste de ces plateformes, si un jour t’as besoin 😉
Trop cool de lire tes avis sur ces lectures, et ça donne très envie de les lire aussi ! 🙂
(par contre j’ai du regarder ce que voulais dire « YA » :p )
Est-ce qu’un des autres avantages de la liseuse, c’est que Nyx ne se couche pas dessus comme la plupart des chats font avec les livres ? 😀
Gros bisous et belle journée !
Merci beaucoup ! Oui, très volontiers pour cette liste ! J’utilisais un système similaire en Angleterre avant d’avoir ma liseuse mais impossible de me souvenir de son nom.
Et oui, effectivement, Nyx ne semble pas très intéressée par ma liseuse ! Elle aime bien, en revanche, se frotter à mon ordinateur quand elle a faim… un peu pénible quand tu as envie de travailler et qu’elle débranche par inadvertance ton 2e écran !
Merci pour ces livres inspirants. Je les note et les pisterais après leurs traductions.
Je pense que le genre, on a compris!