Je comptais initialement publier une recette ce soir, et puis, je me suis laissée emporter par le flot de mes pensées. Avant de commencer cet article, je réfléchissais sur le fait que je ne vous avais pas proposé d’informations nutritionnelles depuis un certain temps (je crois que les dernières remontent à mon gâteau du goûter). Ce n’est pas que je n’ai plus envie de partager avec vous mon (humble) savoir en la matière, non, je crois surtout que j’en ai un peu assez de toutes ces questions de nutrition.
Que faut-il manger ? Mais alors, le soja, t’en penses quoi ? Et les amandes, c’est calorique, non ? Le gluten, c’est pas bon ? Et le chocolat, c’est pas un peu excitant ? Oui, mais le caroube, c’est plus sucré, non ? Et les céréales, c’est de la colle qui fait grossir ou bien l’idéal pour garder la ligne ?
Faut manger cru, paléo, frugi, rawtill4, 5:2 ou bien jeûner ?
Les choux, c’est top niveau antioxydants, mais ça craint pour la thyroïde? Et les algues, c’est trop iodé ? C’est sûr qu’il faut faire tremper les légumineuses, parce qu’il paraît que les oxalates sont anti-cancer, en fait, non ? Et le sésame, c’est plein de calcium mais aussi plein d’oméga-6, non ? Pourquoi on dit que c’est essentiel si c’est inflammatoire ? Ca veut dire qu’il faut toujours les combiner avec des oméga-3 ?
Euh… il faut manger quoi, à la fin ?..
J’avoue qu’en ce moment, j’en ai un peu ma claque de tout cela.
Bien sûr, j’aime manger sainement, me dire que je fais du bien à mon corps en lui offrant de bons nutriments qui lui donneront de l’énergie et l’aideront à être en pleine forme. Et bien sûr, je n’aime pas lui donner des ‘calories vides’, des trucs qui ne servent à rien, bourré d’huile de palme et de sirop de maïs, sitôt avalés, sitôt oubliés. Pourtant, si je suis végane, ce n’est pas pour la santé, mais pour des raisons éthiques. Tant mieux si la santé vient avec et que je n’ai plus de rhume, plus de migraines et que je me sens en forme, même quand beaucoup à ma place ne le seraient pas. Mais je pense profondément qu’il faut arrêter avec les aliments ‘miracles’ et les aliments ‘démons’.
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Pas très nette, ma pastèque ?
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Quand bien même vous mangeriez très sainement, l’alimentation ne vous prémunit pas de tout. On peut manger sain, frais et biologique, et avoir pourtant des problèmes de santé indépendants de son mode de vie, dus à des facteurs que l’on ne contrôle pas, qui ont pu provoquer un dérèglement cellulaire ou hormonal in utero, et sur lesquels même la meilleure alimentation du monde (si tant est que celle-ci existe) ne pourra que peu influer. Certes, il y a des problèmes de santé pour lesquels l’alimentation peut énormément jouer, mais c’est un leurre de croire qu’on peut tout soigner par l’alimentation.
Récemment, deux articles m’ont interpellée récemment à ce sujet.
L’un est écrit par Susan, bloggeuse américaine végétalienne depuis de longues années et très populaire outre-Atlantique, et qui a toujours veillé à avoir une alimentation très saine, pauvre en sucres et en graisses : on lui a détecté un cancer du sein en début d’année. Heureusement pour elle, il semble que celui-ci ait été pris assez tôt pour pouvoir bien le soigner et les premiers traitements ont porté leurs fruits. Susan a préféré attendre que la maladie soit traitée avant d’en parler publiquement à ses lecteurs, par peur de l’avalanche de conseils contradictoires, de reproches, de formulations de regret. Dans son article, sobrement intitulé ‘My unexpected diagnosis’ (mon diagnostic inattendu), elle nous fait part de ses interrogations :
Pourquoi elle ? Pourquoi un cancer, malgré son alimentation on ne peut plus saine, quand ses cousines s’empiffrent de MacDo et se portent comme un charme ? N’a-t-elle pas mangé assez de graines de lin ? Pas assez de germes de brocoli ? De coriandre ?
Et Susan de conclure que, quoi qu’elle eût fait, il est impossible de dire si elle aurait ou non développé ce cancer. Il est impossible de pointer du doigt tel ou tel aliment qui aurait soit freiné, soit précipité la progression, voire l’apparition, de celui-ci. Manger sain, c’est bien, mais cessons d’y voir une panacée : l’alimentation ne guérit pas de tout.
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Allez, juste un dernier…
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A la suite de cet article, une autre bloggeuse américaine influente, Gena, également végétalienne, a rebondi sur ce sujet, dans un article intitulé ‘Getting real about diet and health’ (Pour du réalisme en matière d’alimentation et de santé). Elle-même vient de faire trois années de médecine et travaille comme nutritionniste depuis longtemps. Gena a un parcours complexe, dont elle semble s’être sortie à merveille : troubles alimentaires, anorexie, syndrome de l’intestin irritable (SII), guérison par le végétalisme, puis crudivorisme, avant un retour à un végétalisme plus ‘classique’, avec un poids, une santé et une joie de vivre revenus dans les normes. Elle explique dans son article que, il y a plusieurs années, au pic de son crudivorisme, elle avait tendance à juger un peu de haut toutes les personnes qui se plaignaient de problèmes de santé devant elle :
Comment ? Mais c’est parce qu’ils ne mangent pas assez sainement !
S’ils arrêtaient le sucre, le cuit et les mauvaises graisses, ils guériraient !
Et puis, Gena a fait médecine… en oncologie infantile, auprès de jeunes enfants malades, à un âge où le mode de vie ne compte que très peu, voire pas du tout, dans le développement d’un cancer. Elle raconte qu’au même moment, elle a assisté à une conférence sur l’alimentation et la santé, où l’une des intervenantes soutenait que ‘le cancer n’est qu’une idée’ : un fléau du monde moderne et le châtiment pour des années d’alimentation malsaine… Cette perception du cancer, si éloignée de ce que vivait chaque jour Gena, l’a profondément agacée.
Je partage son énervement.
Peut-être est-ce parce que j’ai perdu l’an dernier mon neveu d’un cancer fulgurant qui l’a frappé sans crier gare et l’a happé du haut de ses sept ans, lui qui ne mangeait pas de sucre, pas de gâteaux, pas de McDo, pas d’huile de palme… et pour lequel nous avons tout fait, du côté allopathique comme holistique, sans que cela ne serve à rien. Comment lutter contre une cellule qui mute alors que l’embryon n’a que trois jours seulement ? Comment incriminer ici l’alimentation et le mode de vie, quand tout peut générer cette mutation, de la pollution ambiante à un pesticide, en passant par un balayage capillaire ou un état de stress ? Quand tout et son contraire peuvent être cause de cette micro-variation qui va déclencher un cataclysme ? Et, croyez-moi, quand j’entends quelqu’un dire que le cancer n’existe pas, qu’il n’est qu’une invention et un ‘mal-a-dit’, j’ai vraiment envie de lui envoyer une balle dans la tête.
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Mais revenons à Gena.
A la fin de son long article, elle raconte une expérience personnelle. Après des années de calme, elle a senti que son intestin irritable lui jouait à nouveau des tours (je vous passe les détails…). Pendant des mois, elle a préféré questionner son alimentation, se remettre en question et souffrir en silence, plutôt que de consulter un médecin. Ce qu’elle a heureusement fini par faire, pour s’entendre dire qu’il s’agissait, non de son SII, mais d’un problème infectieux contre lequel on ne peut guère faire de chose, sinon avoir recours à un antibiotique et un antiprotozoose puissants. Après une semaine de traitement, Gena était de nouveau sur pied.
Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne pense pas que la médecine classique soit la réponse à tout et qu’il faille s’empiffrer d’antibiotiques à la pelletée.
Non, je penche surtout pour une approche modérée, où médecine allopathique et holistique iraient de pair et où l’on ne dirait pas à un patient qui vient se plaindre de maux de ventre violents que c’est juste ‘psychologique’ et que trois cachetons feront l’affaire. Les meilleurs médecins que je connaisse sont souvent ceux qui sont les plus ouverts à d’autres formations que la leur et qui, à la médecine occidentale la plus classique, joignent une spécialisation en micronutrition, homéopathie, phytothérapie ou médecine chinoise. Mais je referme ici la parenthèse car je m’éloigne du sujet.
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Une pomme crue nous sauvera-t-elle d’un petit pain de blé ?
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Tout cela pour dire que l’alimentation ne fait pas tout.
Que, pour avoir un peu traîné dans les groupes et forums de frugivores, les personnes qui devraient être en théorie en ‘bonne santé’ sont souvent les plus souffrantes. Que je n’ai jamais vu autant de gens subir d’affreux maux de ventre, de migraines et de malaises à répétition, justifiés à grands coups de détox (et d’intox…) et prétendument soignables à renfort de cures de jus, de jeûnes et de lessivage du colon par tuyau interposé (les singes se mettent souvent des tuyaux dans les fesses, selon vous ?). Et que, honnêtement, je trouve que mes voisins qui mangent deux fois par semaine au fast-food d’en face ont l’air – et c’est le moins qu’on puisse dire – en meilleure santé.
J’ai moi-même été tentée par ce que j’appellerais, quand il est dogmatique et normatif comme il peut malheureusement l’être, les ‘écueils’ du crudivorisme (souvenez-vous bilan 1 et bilan 2) Je pense être donc bien placée pour parler de tout cela. Quand on débarque dans la blogosphère et que l’on n’a pas fait au préalable une formation en nutrition, comme c’est la cas de beaucoup, on a soudain les yeux qui miroitent de part en part : tant d’aliments ‘magiques’, tant de superfoods mirobolantes, de poudres de perlimpinpin, de graines de guérison-subite-que-si-tu-les-manges-pas-tu-meurs-illico… Entre ça et les recommandations X et Y : il n’est pas bon de manger ça, il faut toujours faire tremper ça, n’avale surtout pas ça… On erre, on bafouille, on ne sait plus où donner de la tête et on finit par ne plus rien oser manger.
C’est quand même un peu bête, sachant que le végétalisme part justement de l’idée d’une alimentation épanouie, confiante et assurée, en harmonie avec le monde, façon ‘bien pour son corps, bien pour la planète’, et dans laquelle beaucoup de jeunes filles en guerre avec la nourriture trouvent à la fois raison d’être, réconciliation et salut.
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Un cocktail vodka-orange, le meilleur ami du sportif
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Donc voilà, si j’ai choisi de ne plus consommer de produits animaux, c’est avant tout parce que je pense que ceux-ci ne sont pas nécessaires dans notre alimentation. Et que, puisque leur présence dans nos assiettes ne satisfait pas un besoin, mais répond à un désir – une envie de plaisir –, et qu’elle occasionne un lot de souffrances envers les animaux assez inimaginable, je préfère m’en passer, tout simplement !
Si je ne consomme pas de viande, de poisson, d’œufs, de beurre, de lait et de crème, ce n’est pas parce que ceux-ci ne sont pas bons pour la santé (même si ça, c’est vrai aussi ;-)), mais parce que cette consommation ne correspond pas à mes principes éthiques.
Alors, à côté de cela, arrêtez de me barber si je mange du tofu et bois du lait de soja (pitié, arrêtez avec les mythes liés au soja !), si je trempe mes lèvres dans un verre de vin rouge quand l’envie m’en prends (♬♪ ça me fait tourner la tête ♪♫ ), si je mange du gluten régulièrement (bouuuuuh ! c’est le maaaal !), si je savoure tout ce qui est cuit, rôti, bouilli, caramélisé, tout cramé (mais la courge crue, ma chérie, il n’y a que cela de vrai), si je raffole de mes carrés de chocolat (ça donne le sourire !) et si, de temps en temps – et surtout en cette période de pré-Noël – j’achète des petits biscuits (végétaliens) qui contiennent du sucre blanc et de la farine blanche (il faut bien que je goûte les gâteaux traditionnels allemands pour les reproduire et vous en proposer les recettes sur le blog, non ? Je me sacrifie pour la bonne cause…).
Bref, honnêtement, je m’en fiche un peu de tout cela, et j’aimerais parfois que les ayatollahs de la bonne bouffe regardent davantage dans leur propre assiette plutôt que fureter les miettes de discorde dans celles des autres.
Laissez-nous défendre nos idéaux et manger en paix.
Amen.
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PS : les opinions exprimées ici ne sont que les miennes et je ne cherche à provoquer aucune polémique en publiant cet article, ni à attaquer une quelconque personne ou un groupe en particulier. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ceci n’est pas un plaidoyer pour la malbouffe et les antibios. Si vous souhaitez rebondir sur mes propos, merci de le faire dans la joie et la bonne humeur !
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324 comments
Merci ! Juste merci car cela fait du bien de lire ENFIN un article intelligent dans ce monde de blogs de fous !
Oui on peut manger sainement et se faire plaisir et Oui l’alimentation ne nous sauvera pas d’une mort certaine.
Je suis pour le bio, le beau, le sain mais je sais aussi que bio n’est pas pur ! Alors relativisons et profitons de la vie !
Encore merci !
C’est une traduction de l’anglais ? Je ne comprends quasi rien à ce message… Pourriez-vous être plus clair ? Merci.
L’article qui renvoie au problème de la présence de composés toxiques () dans les produits fermentés, concerne certains produits mais le tempeh n’est nulle part mentionné dans l’article scientifique*, contrairement à ce qu’indique l’article de LaNutrition, sur lequel pointe cet article. Sont mentionnés yaourt, sioja, fromage, vinaigre, etc. Les composés (MC et EC) n’apparaissent pas systématiquement dans les produits fermentés; cela dépend de leur qualité, des conditions de fabrication, de stockage, etc. Le tempeh n’a donc pas plus de toxicité que le tofu. La fermentation tend en effet à diminuer la part des phytates et des composés anti-protéiques présents dans le soja. Cependant, en effet, l’homme y est adapté et le blocage des nutriments en leur présence reste toujours partiel. Bien sûr, n’imaginons pas nous nourrir que de soja en protéines, ce qui serait une grosses erreur. Il est évidemment bon de varier ses sources de protéines. *https://link.springer.com/article/10.1186%2F1752-153X-6-157
Votre article date un peu mais je viens de tomber sur votre site.
Je me suis moi même poser la même question il y a quelques années, après être passée par une phase boulimie/anorexie, j’ai été ce qu’on appelle « orthorexique ». Toujours à la recherche du « manger le plus sainement possible »… J’en perdais même le plaisir de manger, me demandant tout le temps si je ne pouvais pas amélioré encore plus mon assiette….
Travaillant dans le médical, je faisais mienne cette phrase de mon cher Hippocrate « que ton alimentation soit ta première médecine »…
Mais comme Gena, j’ai pu constater que ça ne suffisait pas. Que moi aussi je suis malade sans trouver ce qui ne va pas…
Alors j’ai fini par être moins stricte avec moi, et avec mes patients. Je me suis petit à petit permise de faire des écarts. Et depuis, je vis mieux, physiquement et mentalement. Même si parfois je continue de culpabiliser en mangeant un gâteau…
J’ose te répondre, car le début de ton commentaire résonne en moi… Je souffre d’anorexie depuis beaucoup (trop) d’année et depuis 3 ans, je dirais que l’orthodoxie est venue s’y mêler … Depuis seulement 3 mois, je commence à prendre du recule à me rendre compte jusqu’où je suis allée, bien trop loin… mais les choses sont si difficiles à changer … Merci pour ce bel article en tout cas, qui me parle, et me « plait » comme je veux défendre un mon respectueux, simplement bienveillant <3
Bonjour Léa.
Je suis navrée de lire vos mots, j’aimerais tant que ce mal cesse… Car même lorsqu’on se croit sorti de ce cercle vicieux, il en reste toujours des réflexes. On ne s’en sort jamais complètement.
Beaucoup de courage à vous.