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Il s’appelait Mathias, elle s’appelait Marie.
Qu’est-ce qu’ils avaient en tête ce soir-là, quand les premiers coups ont éclaté, quand ils ont compris que les bruits ne faisaient pas partie du spectacle, quand les premiers rideaux se sont teintés ?
Est-ce qu’ils sont tombés d’un coup ? Est-ce qu’ils ont vu les hommes arriver ?
Est-ce qu’il t’a prise dans ses bras quand tu as hurlé ? Est-ce qu’elle t’a attrapé la main, est-ce qu’il t’a empoignée ?
Est-ce qu’elle savait, l’éclat de joie, les sauts, les fous rires et les baisers, quand elle a reçu les billets ? Est-ce qu’il savait, le rythme, les bonds, la gaieté et les bougies soufflées, la chanson à peine entonnée ?
Est-ce qu’elle pleurait, les premières notes, les premiers coups, les derniers cris, la dernière vie ? Est-ce qu’il lui a dit, vite, je t’aime, si tu savais, vite, partons, fuyons, vite, vole, prends-moi, embrasse-moi, serre-moi fort, ne me lâche pas ?
Est-ce qu’elle a ri, ce vendredi, tapoté la table de ses doigts excités, coché le jour sur le calendrier, s’est pris les pieds dans les câbles qui traînaient, s’est maquillée ? Est-ce qu’il a senti, ce vendredi, le vent plus frais, le blouson qu’il relève, la casquette qu’on abaisse, les pas qui se précipitent, viens, on va être en retard, c’est l’heure, viens, ça va être tellement bien, tu verras ?
Est-ce qu’elle l’a entendu tomber, l’a entendu rouler, l’a tenu dans ses bras, a baisé son visage froid ? Est-ce qu’il l’a vue courir, l’a vue partir, a palpé sa faille, fleuré son sang, glissé le long de ses bras ?
Est-ce qu’ils se sont écroulés ensemble, vite, viens, c’est l’heure, on ne sent rien, si tu savais, l’a étreinte, l’a caressé, vite, ça va être tellement bien tu verras vite je t’aime embrasse-moi serre-moi et ne me lâche pas ne me lâche pas ?
Est-ce qu’ils ont vu, le petit gars à lunettes, les cheveux courts, les lèvres rouges, la fille en cuir, la boucle à l’oreille, les longues mèches, le sourire qui glisse, le grand en noir, le nez trop fort, la fine cicatrice, les taches de rousseurs, la petite blonde guillerette, les mains qui tapent, les langues qui claquent, la sueur au front, ces rires qui montent au plafond ?
Est-ce qu’ils ont su, est-ce qu’ils ont vu, est-ce qu’ils se sont tous embrassés, est-ce qu’ils sont tous tombés, est-ce qu’ils sont tous partis, vite, vite, le rythme, les hommes, les balles, est-ce qu’ils ont su, est-ce qu’ils ont vu, le noir, la peur, les cris, vite, vite, pars avec moi, ne me quitte pas, vite, vite, ça va être tellement bien tu verras ?
Et toi est-ce que tu sais Paris quand tu pleures quand tu geins quand tu roules à terre quand ton visage craquèle quand tu trembles quand tes lèvres tanguent quand tu cries quand tu chancèles quand tes ponts vacillent quand tes feux se terrent quand tes cafés éclatent quand les balles claquent quand tes rues sifflent quand tes pavés grincent quand les heurts riflent quand tes mômes tombent quand les bougies s’allument quand tu te relèves quand tes arbres se dressent quand tes gens se hissent quand tes teintes se lèvent quand ton peuple fier gueule quand tes voiles prennent le large quand tu ne coules pas quand tu vis est-ce que tu sais Paris quand quand est-ce que tu sais que tu es belle quand Paris est-ce que tu sais que tu es belle quand tu aimes quand tu résistes quand tu chantes quand tu existes ?
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186 comments
Un texte qui me touche profondément .
Mes pensées vont à tous ces jeunes hommes et femmes privés de leur futur , inutilement , par ces fous …
Merci de ne jamais oublier .
[…] les enfants orphelins. Dans ce chaos, voir passer des mots d’une grande douceur. Lire cet article magnifique d’Antigone XXI, le cœur serré. Beaucoup l’ont souligné, c’est une vraie gueule de bois que connaît […]
Merci pour ce texte magnifique et émouvant, bel hommage aux victimes, et pour nous aussi.
Un grand courage à tous les proches… On continuera à rire, à boire, à danser, pour nous, pour eux, pour notre liberté.
Très très beau texte!!
Superbe hommage!
Un grand merci!!
Hommage poignant qui me touche beaucoup. Merci.
Il y a des mots qui réconfortent ? vraiment ? Je ne sais pas. C’est dur, c’est compliqué, on aimerai faire beaucoup pour toutes ces familles, ces amis, ces victimes, ceux qui sont encore la mais a qui il manque quelqu’un… Parce qu’il faut être sincère, on échangerai pas notre place avec la votre (nous n’avons perdu personne dans ce drame), mais on est atteint dans nos chairs. J’ai pleuré, beaucoup, sans un mot mon mari m’a pris dans ses bras, parce que c’est dur, il a compris, on a compris ce soir la qu’on était des chanceux de n’avoir perdu personne mais on a compris combien de gens ont perdu la vie ce soir la aussi.
Au delà du sentiment égoïste et humain d’être des « chanceux » on a pleuré, parce qu’on aime cette France jeune, ces sourires, ces amoureux. On a pas besoin de connaitre les gens pour imaginer à quel point c’est dur pour ceux qui restent, pas besoin de les connaitre pour savoir à quel point c’est injuste…
Pour cette jeunesse fauchée, ces familles endeuillées, ces rescapés qui vont devoir se battre avec ça, je vous adresse toute ma compassion, mon empathie, mon affection, ce que je peux avec ce que je suis.
Caroline.
chacun de nos mots est une balle de vent qui souffle au visage des minables terroristes le mépris qu’ils inspirent
JE SUIS PROSE
https://oliwp.wordpress.com/2015/11/16/je-suis-francaise-je-suis-marocaine-tunisienne-algerienne-europeenne-africaine-americaine-asiatique-slave-je-suis-terrienne/
Comme c’est bien écrit..Un immense Merci pour ce touchant message…mais mes pleurs ne vont pas tarir de si tôt..je suis Tristesse
De tout coeur avec vous. C’est terrible. De près, comme de loin, nous sommes tous sous le choc.
Votre peine est la mienne, celle de nous tous.
Ce texte est superbe. J’espère qu’ils sont morts très vite sans avoir le temps d’avoir peur…
Je suis un grand mère de haute-Savoie et quand je vois ce si beau couple, je suis si triste…à leur famille je dis « vous n’êtes pas seuls ». Des milliers de gens en France pleurent avec vous et vous embrassent. Courage !
Je ne les connaissais pas mais j’ai vu passer leurs visages dans les avis de recherche, ce vendredi noir. Je ne les connaissais pas mais j’ai espéré avec vous qu’ils soient retrouvés saufs. Je ne les connaissais pas mais je ne les oublierai jamais. Je n’oublierai jamais les visages de toutes ces personnes qui ont perdu l’avenir.
Vous êtes dans mon cœur et dans mes larmes, vous qui avez perdu des êtres chers.
Votre texte est un très bel hommage.
[…] d’abord envie de vous adresser un grand merci de l’accueil que vous avez fait à mon précédent post. Je l’ai écrit vite, sans trop y penser, sans vouloir rationaliser les choses, en vous […]
Merci pour cette émouvante sensibilité si bien relatée, ton texte m’a beaucoup touché …
De tout coeur
C est magique quand je voie les visages de ces jeunes c est se qui me vient à l’esprit est ce qui ont eu peur est ce qui pleurait est ce qui sont mort sur le coup
Je leur donne mes larmes et à vous pour ce bel hommage
j’ai tellement mal quand je lis ca, je pleure ,je ne peux pas m’en empecher, que ce monde est triste aujourd’hui, j’ai mal, j’ai mal !!!!
Merci d exprimer nos émotions, de partager et de participer.
Merci mille fois pour ce texte qui traduit tellement les pensées qui traversent l’esprit n’importe quand pour quelqu’une qui n’est pas revenue. Qu’elle n’ait pas eu mal, qu’elle n’ait pas eu peur, que quelqu’un me le dise, n’importe qui, juste son rire encore.
Je lis dans un article suivant qu’on t’a reproché ce texte. Je ne veux même pas lire. Juste, merci de l’avoir écrit.
D’avoir écrit le mélange de chagrin, d’amour qui reste, de vie, de belles choses, de tourbillon médiatique, de questions sans réponse, que ton article dit si bien.
Merveilleux message à Marie et Mathias, que je ne connaissais pas mais qui font desormais de ma vie. Vous incarniez la beauté, l’amour, la joie de vivre, l’intelligence et l’espérance d’un monde meilleur. Rest in peace.
[…] https://antigone21.com/2015/11/14/est-ce-que-tu-sais-paris/ […]
Du temps c’est écoulé mais pour autant la douleur est toujours là même à 900 km de Paname…..Je ne les connaissais pas mais chaque fois que je lis ce texte et que je vois cette photo cela me fais mal ….
Ils sont si beaux sur cette photo…..
[…] une pyramide de BMX et de planches à roulettes, la passion de Mathias. Dans un texte touchant, le blogue « Antigone XXI » leur rend un vibrant hommage. « Est-ce qu’ils ont su, est-ce qu’ils ont vu, […]
Je ne sais que le silence
Le souffle coupé
La voix brisé
Moi qui adorais les concerts, ce jour à été pour moi la fin car perdre ça vie pour ça ne vaut pas le coup, je vais écouté de la musique dans de petits endroits sans risque dorénavant.
Waouh.. J’en pleure ! Magnifique. A la fin, n’y a t-il pas un double quand ?
« quand tes voiles prennent le large quand tu ne coules pas quand tu vis est-ce que tu sais Paris quand quand est-ce que tu sais que tu es belle quand Paris est-ce que tu sais que tu es belle quand tu aimes quand tu résistes quand tu chantes quand tu existes ? »
Merci beaucoup ! Si, c’est fait exprès…